La spiritualité est-elle une illusion ?

 

Aujourd’hui j’avais plus de temps pour vous écrire donc j’ai eu envie de me plonger dans une réflexion spirituelle plus intense que d’habitude. 

Du coup, j’ai pris le temps de réagir à un texte que j’ai lu il y a quelques jours un texte sur la spiritualité. Il s’agit d’un extrait de l’ouvrage de Eric Baret, 250 questions sur le yoga.

Le voici, ainsi que mes commentaires.

 

Question – La spiritualité est-elle une illusion ?

Eric Baret – C’est un concept. Ce que les gens projettent dans la prétendue spiritualité, à six ans ils le projetaient dans leur équipe de scouts, à dix dans leur équipe de foot, à vingt dans la politique et à trente dans le mariage. Ce manque que l’on a essayé de combler par une poupée, un train électrique, une bonne note à l’école, une carrière, un enfant, on le projette ensuite dans la spiritualité. C’est le pot‐pourri de toutes nos peurs. Chacun, selon la forme de ses anxiétés, se trouve attiré par un certain type de spiritualité. Quand c’est présent, il faut le respecter ; mais ce n’est rien d’autre que la peur.

La vraie spiritualité est un remerciement. Maître Eckhart fait une différence entre la vraie prière, prière du cœur, célébration de l’accomplissement divin, et la prière qui vient du manque, qui essaie de demander une rectification. Cette dernière n’est pas une prière, mais une forme d’abcès. La vraie prière est remerciement. La vraie spiritualité est un non‐dynamisme qui s’incarne dans une disponibilité de chaque instant. 

Quand le cancer, la maladie, la naissance, la violence, l’émotion vient, être disponible : là se trouve la profondeur.

Les scouts, la politique, la spiritualité, l’enfant, l’équipe de rugby ont leur place, sinon cela n’existerait pas. Vouloir se libérer de tous ses problèmes pour devenir spirituel, pour devenir «éveillé», aussi. Ces règles, ces références, ces savoirs sont issus de la peur. Vient un moment où vous n’éprouvez plus besoin de vous chercher dans les différents courants de la vie. C’est vous qui éclairez la spiritualité, non l’inverse. C’est votre clarté qui vous fait comprendre profondément ce qu’est la politique, la paternité, la violence, la maladie, le bouddhisme, l’islam. Votre clarté éclaire tout cela.

 

 

Voici maintenant mes réflexions, analyses, questionnements par rapport à ce texte, pour aller apprivoiser encore plus ce qu’est la spiritualité et comment la vivre au quotidien.

Tout d’abord, il est question de la manière dont les gens viennent à la spiritualité. Pour moi, l’origine qui pousse les gens vers la spiritualité, comme elle peut les pousser vers d’autres centres d’intérêts, ce n’est pas la peur en elle-même mais plutôt l’origine de cette peur, c’est-à-dire notre perception de la réalité, la manière dont nous vivons la séparation. Dans le monde de la matière, nous percevons les choses, les gens, notre environnement comme séparé de nous. Je fais l’expérience de la matière grâce à cette séparation. Grâce à cette séparation, j’existe en tant qu’individu qui fait l’expérience de la matière. Mais le revers de la médaille, c’est que cette séparation peut entraîner de la solitude, des doutes, de l’incompréhension, mais aussi de la peur. Peur de l’autre, peur de l’environnement qu’on a l’impression de ne pas contrôler, peur de l’avenir, peur d’être seul… Paradoxalement, c’est cette séparation qui nous pousse vers la recherche de l’unité, cette autre réalité de notre être qui passe au second plan dans le monde de la matière. Pour reprendre la métaphore de la pièce, séparation et unité sont comme les deux faces d’une même médaille chez l’être humain. Notre corps est de matière, duel et les représentations mentales que l’on a de la matière est duelle. L’Esprit que nous sommes, Esprit associé à ce corps est Un. Sans arrêt, ces deux faces cohabitent, même si la deuxième est généralement moins visible. Et c’est celle-ci qui nous pousse à trouver les expériences d’unité que nous pouvons faire dans la matière, afin de prendre conscience de cette deuxième face de nous-même. Expérience que nous allons chercher dans l’autre, dans le groupe, dans le couple et parfois même, aussi paradoxal que ça puisse paraître, dans les biens matériels. C’est d’ailleurs parce que nous nous sentons séparés de nous-même, avec une vide d’identité et un vide existentiel que nous ressentons le besoin de posséder, afin de combler cette part manquante de nous.

C’est pour cela que pour moi, la spiritualité ou plus exactement l’attrait pour la spiritualité est une quête. Une quête de soi, une quête de vérité, une quête d’absolu. Et dans cette quête, il n’y a pas de fausse ou de vraie spiritualité. Il y a ce vers quoi l’on tend : on trouve les réponses et on les accueille comme on peut, avec qui on est, son histoire, sa culture, sa personnalité, l’étendue de ses blessures. La manière de répondre à ce vers quoi l’on tend peut aussi évoluer dans le temps car cette quête se nourrit aussi d’elle-même et de l’expérience de chaque jour. Si on n’aime plus l’expérience que l’on fait de cette quête d’unité, on en change.

De la même manière que l’auteur oppose vraie et fausse spiritualité, il distingue vraie et fausse prière. Il dit que la vraie prière est un remerciement, tandis que nos « demandes de rectification » n’en sont pas. Pour moi, il n’y a pas de vraie ou de fausse prière. Il n’y a que l’acte de prier. L’acte de prier comme recherche de cette unité dont je parle plus haut. Il est vrai que le point de départ de nombreuses prières est plutôt une demande, la demande d’autre chose, la demande d’une « meilleure » réalité, d’une « meilleure expérience » que celle nous vivons, parce que ce qui est là ne nous convient pas, et même nous fait souffrir. Mais prière de demande et prière de remerciement ne sont pas antinomiques à mes yeux. Car prier en s’en remettant à plus grand que soi, prier en demandant une rectification nous permet aussi de prendre conscience, grâce à l’intimité de la prière, grâce à ce moment que l’on s’accorde, comme une parenthèse (des)enchantée, de ce qui ne va pas dans notre vie, de notre souffrance et donc de qui nous sommes. C’est un rendez-vous avec soi. Un rendez-vous d’amour avec soi, où l’on peut (enfin) être soi-même et montrer sa blessure profonde. Et quel plus bel acte d’amour que d’aller à la rencontre de soi ? 

Il arrive aussi que la demande de rectification « extérieure » nous permette de voir plus clair dans le jeu de notre ego, de constater nos propres imperfections et du coup, de rectifier nos pensées erronées. C’est au cours de ce cheminement intérieur que permet le moment de la prière qu’autre chose peut arriver, peut se créer. Si la première intention était la demande, la non-acceptation, elle peut aussi conduire à cet état de remerciement. C’est là qu’intervient la grâce. Non pas la grâce accordée par le Très-Haut, le supérieur à moi, mais la grâce que je viens toucher en moi.

Il y a des jours où on est tellement dans la séparation qu’on n’arrive pas à remercier. Et c’est justement dans l’acte de prier que je vais être authentique avec moi, où je vais exprimer que je me sens séparé, où je vais accepter que je n’y arrive pas, et me donner un espace-temps où je me donne une chance d’y parvenir. Un moment d’authenticité avec moi où je me donne l’autorisation de râler, de pleurer, d’être en colère, de prendre contact avec mes blessures, même si c’est pour les reprocher au « Père ». Un espace-temps intime. La prière est ce dont on est capable à un moment donné. C’est à ce moment-là une prière d’amour envers soi, donc une prière d’amour, donc une « vraie » prière.

 

 

Si l’on dit que la véritable prière est un remerciement, il ne faut pas oublier qu’il y a différentes manières de remercier. Remercier un Dieu qui serait perçu comme extérieur à soi, reviendrait à accentuer la dualité, la séparation alors que la spiritualité est justement la quête de cette unité que nous sommes et que nous ne voyons pas toujours, tournés que nous sommes dans notre quotidien vers la face visible, mesurable, tangible, de notre être.

Pour moi, la spiritualité signifie la pleine conscience et la pleine expérience de notre nature : une et duelle à la fois. Vivre dans la spiritualité consiste à faire l’expérience de l’unité, et sans dualité, aussi étrange que cela puisse paraître, il est impossible de faire cette expérience. Dans l’unité, pas de séparation, donc pas de conscience de l’unité. Dans la dualité, il est possible de faire l’expérience de la séparation comme de l’union.

Eric parle également d’un « non‐dynamisme qui s’incarne dans une disponibilité de chaque instant ». La disponibilité de chaque instant permet en effet de faire à la fois cette expérience de séparation et d’union. Eckhart Tolle ne parle-t-il pas du « pouvoir du moment présent » ? Pour moi, c’est une démarche tout à fait dynamique dans le sens de décider d’être présent, développer sa conscience, aiguiser sa capacité à être là quand arrivent les choses, qu’elles soient agréables ou pas. Ou alors dynamisme est ici opposé à suivre le flux, signifiant un « je fais comme j’ai décidé avec mon mental sans tenir compte de ce qui se passe autour de moi ». Dans ma lecture des choses, suivre le flux est quelque chose d’extrêmement dynamique : de l’ordre de la décision, comme je viens de le dire, mais pas seulement. Lorsque le flux, à travers « le cancer, la maladie, la naissance, la violence, l’émotion » dont parle l’auteur, s’adresse à nous ainsi, il nous pousse dans nos retranchements. Et dans ces moments-là, il en faut de la dynamique pour se saisir de ce qui nous invite à passer par dessus nos peurs, à prendre conscience de nos blessures, mais aussi à laisser briller notre lumière, à oser, à vivre pleinement. Une non-dynamique risquerait au contraire de nous entraîner dans un laisser-faire et une résignation en lieu et place de prendre pleinement possession du cadeau de la vie qui nous est fait là. Etre pleinement disponible pour observer le flux de la vie et décider consciemment de le suivre, d’agir de concert avec ce flux en mobilisant nos capacités et nos ressources, afin de manifester ce qui cherche à se créer à travers nous est tout sauf « non-dynamique ». L’expérience du divin est en ce sens profondément active. 

Devenir capable d’éclairer la spiritualité, quel beau programme ! Mais là encore, je pense que c’est un chemin, où l’on tâtonne, expérimente, se confronte, se trompe, change de voie… Il n’y a pas un jour où en dans la peur et puis le lendemain où on est dans la spiritualité. Le curseur est mouvant et non-linéaire, comme tout cheminement de la pensée et du ressenti. Accepter pleinement la dualité, tout comme prendre peu à peu conscience de notre nature spirituelle ne se fait pas sans détours, même chez les mystiques, tout simplement parce que la vie n’est pas de cette nature. La vie est mouvement, comme celui des astres, des marées, des saisons et même des battements du coeur humain : parfois rapide, parfois lent, parfois saccadé, parfois régulier, parfois doux, parfois fort. Tout comme l’ombre, la lumière aussi est chancelante et le jour succède à la nuit comme la nuit succède au jour. 

Et je ne peux accéder à cette capacité à éclairer la spiritualité que depuis cet espace incertain : nier l’ombre, ses avancées et ses reculées, reviens à nier la lumière, à nier la dualité sans laquelle je ne peux faire l’expérience de l’unité. Plus loin, Eric Barret écrit « inutile de changer quoi que ce soit en moi » : il est donc inutile de changer ma quête, ni mon désir de spiritualité, ni même la manière dont je réponds à ce besoin de spiritualité. TOUT est à accepter. Absolument TOUT.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N'hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *